Introduction à la pensée d’Emmanuel Levinas. Le soin ou l’irréductible inquiétude d’une responsabilité infinie (2024)

1Lors de son allocution prononcée à la mort d’Emmanuel Levinas le 27 décembre 1995, au cimetière de Pantin, Jacques Derrida déclarait: «le retentissem*nt de cette pensée aura changé le cours de la réflexion philosophique de notre temps, et de la réflexion sur la philosophie, sur ce qui l’ordonne à l’éthique, à une autre pensée de l’éthique, de la responsabilité, de la justice, de l’État, etc., à une autre pensée de l’autre, à une pensée plus neuve que tant de nouveautés parce qu’elle s’ordonne à l’antériorité absolue du visage d’autrui.» (1, p.97).

2Ce retentissem*nt qu’avait pressenti Derrida est une réalité dans le monde du soin et de la médecine. Ainsi, il n’est pas anodin que l’année même de la mort de Levinas le directeur général de l’Assistance Publique-Hopitaux de Paris (AP-HP) d’alors, Alain Cordier, demanda à Emmanuel Hirsch de mettre en place une structure de réflexion qui portera le nom d’«espace éthique». Ce directeur atypique, et ce philosophe, producteurs alors à France Culture, étaient tous deux très fortement imprégnés de la philosophie d’Emanuel Levinas. A titre d’exemple, il était fréquent que, dans des réunions institutionnelles de l’AP-HP de l’époque, Alain Cordier évoque le «visage d’autrui» et qu’il cite, à la grande surprise de son auditoire, l’auteur d’«Ethique et infini». Il n’avait ainsi de cesse de rappeler dans ses interventions que «l’hôpital est avant tout un lieu d’humanité, parce que l’homme couché y oblige l’homme debout».

3Il semble que si Levinas a pu trouver au fil du temps un écho certain auprès des soignants, c’est qu’il s’est intéressé à ce qui constitue la raison d’être du soin: la vulnérabilité. Michel Terestchenko l’explique parfaitement:

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«Etrangement, la tradition philosophique ignore, très largement, cette notion [la vulnérabilité] qui est tout simplement absente, hormis chez Levinas et Ricœur. Comment pouvait-il en être autrement s’il s’agit pour tant de philosophes - de Platon à Kant, en passant par les Stoïciens ou Descartes - de nous mettre à l’abri, de nous apprendre la voie de l’autosuffisance, de la non-dépendance, de la prééminence de la raison sur les émotions et les sentiments, autrement dit de nous apprendre à être le moins vulnérable possible?»

5En prenant au sérieux cette question, la pensée de Levinas irrigue aujourd’hui, consciemment ou (le plus souvent) inconsciemment, la pratique soignante. Ce n’est donc pas un hasard si cette présence est particulièrement forte dans le mouvement des soins palliatifs.

12 janvier 1905: naissance en Lituanie (Kaunas).
1914-1920: la guerre pousse sa famille à fuir en Russie à Kharkov (Ukraine). Il entre au lycée, malgré le numerus clausus permettant à seulement cinq enfants juifs d’y être admis. Il y lit Pouchkine, Lemontov, Tolstoï et Dostoïevski.
1923: il se rend en France à Strasbourg pour suivre des études de philosophie. Il rencontre Maurice Blanchot avec lequel il entretient une profonde amitié.
1928 à 1929: à Fribourg-en-Brisgau (Allemagne), il est l’élève d’Edmund Husserl et de Martin Heidegger et fait l’apprentissage de la phénoménologie.
1930: il soutient sa thèse de doctorat (Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl) puis s’établit à Paris. Il suivra les cours de Léon Brunschvicg, ainsi que ceux de Kojève sur Hegel. Il assiste également aux rencontres philosophiques organisées par Gabriel Marcel.
1931: il obtient la nationalité française et se marie.
1939: Levinas est mobilisé; il est fait prisonnier à Rennes, puis transporté en Allemagne, où il est captif dans un camp de prisonniers de guerre réservé aux soldats juifs pendant toute la guerre.
1945: après la Guerre, il participe régulièrement à des conférences au Collège Philosophique de Jean Wahl. A cette époque, il commence à étudier le Talmud sous la direction de M. Couchani. Pendant 35 ans, il dirige l’École normale israélite orientale (ENIO).
1961: il publie sa thèse «Totalité et Infini».
1964 à 1975: Levinas entreprend une carrière universitaire. Celle-ci le conduira à l’Université de Poitiers, puis Paris-Nanterre (1967), enfin à la Sorbonne (1973) où il enseignera jusqu’en 1976, année de sa retraite.
25 décembre 1995: Emmanuel Levinas décède à Paris, il avait 90 ans.

6Levinas a influencé un grand nombre de philosophes contemporains, nous pouvons citer: Jean-Luc Marion, Jacques Derrida, Jean-Luc Nancy, Catherine Chalier.

7Même si Levinas, lors d’entretiens, aimait à rappeler «la vocation médicale de l’homme» (3), on ne retrouve cependant pas dans son œuvre de discours concernant spécifiquement le monde de la médecine ou du soin. Ce n’est qu’indirectement que le soignant se trouve interpellé par cette pensée qui place l’inquiétude à l’origine de l’éthique. Il faut ici rappeler que, dans son expression la plus courante, le soin se définit comme «la manière appliquée, exacte et scrupuleuse de faire quelque chose», ou encore: l’«effort, le mal qu’on se donne pour obtenir ou éviter quelque chose. [1]» Il y a ici la volonté de faire attention, d’être précautionneux, attentif. Comment expliquer alors cette application scrupuleuse, ce souci attentif? La réponse semble évidente: le soin se rapporte à ce qui a de l’importance pour nous, ce à quoi nous tenons vraiment. Or, dans le soin, ce qui est si important, ce qui est à préserver, c’est justement ce qui est fragile, précaire, vulnérable, en premier lieu la vie d’autrui. Parce qu’elle est à la fois force et puissance, mais aussi fragilité et vulnérabilité, toute vie est en effet source de joie et, dans le même temps, d’inquiétude. En danger dès son commencement, il s’agit donc d’en «prendre soin». Lorsqu’on est soignant, cette attitude d’inquiétude, qui est au fondement de l’éthique levinassienne, nous est, pour ainsi dire, habituelle et familière. Elle constitue notre éthos professionnel. Inquiétude et vulnérabilité sont au cœur de la relation de soin. Il s’agit alors de considérer le soin comme une «Rencontre» au cours de laquelle les protagonistes sont successivement, et parfois simultanément, inquiets et vulnérables.

8Malgré un abord particulièrement difficile, Emmanuel Levinas est donc un philosophe qui peut «parler» assez naturellement aux soignants. Toutefois, il semble qu’aujourd’hui nous avons trop tendance à édulcorer sa pensée. En l’apparentant à un simple altruisme bienveillant, on manque l’aspect radical, voire même subversif de l’approche qu’il nous propose. Comme le souligne Alain Cordier: «Il faut en saisir toute l’exigence, l’exigence d’un jamais quitte et de l’absence de toute échappatoire.» (3, p.46) Levinas le dit d’ailleurs clairement: «La récurrence du soi dans la responsabilité-pour-les-autres, obsession persécutrice, va à rebours de l’intentionnalité, de sorte que la responsabilité pour les autres ne saurait jamais signifier volonté altruiste, instinct de “bienveillance naturelle” ou amour.» (4, p.177)

1930: Théorie de l’intuition dans la phénoménologie de Husserl
1976: Difficile liberté
1980: Le Temps et l’Autre
1982: Éthique et Infini, (dialogues d’Emmanuel Levinas et Philippe Nemo - le livre le plus accessible)
1990: Autrement qu’être ou Au-delà de l’essence
1991: Totalité et Infini: Essai sur l’extériorité
1992: De Dieu qui vient à l’idée
1998: L’Éthique comme philosophie première

9Littéralement, avec Levinas, je ne suis pas responsable de l’autre mais pour l’autre. Nous basculons dès lors d’une «responsabilité devant» qui se confronte à une instance supérieure (Dieu, la Loi, l’autorité) à «une responsabilité pour» qui se réfère à la vulnérabilité de celui qui me fait face. L’auteur de «Totalité et infini» savait d’ailleurs que face à l’ordre que m’adresse le visage d’autrui la haine est une hypothèse toujours possible. En interrompant mon insouciance, mon bonheur et ma liberté, cette inquiétude pour autrui signe la perte d’une forme d’innocence. Plus radicalement encore, ce visage qui m’appelle et m’oblige s’oppose à mon conatus, ce désir de persévérer dans mon être qui est central dans l’œuvre de Spinoza. Venant perturber ma tranquillité, le visage du prochain m’obsède par sa misère. Ce commandement est donc terriblement violent. Je peux légitimement chercher à m’en protéger, le fuir, voire le faire taire. Ainsi: «Le visage est exposé, menacé, comme nous invitant à un acte de violence.» (5, p.80)

10Cette radicalité se retrouve également dans le style d’écriture qui caractérise Levinas. Si l’on veut aborder son œuvre, il faut se rappeler que ce dernier soumet volontairement sa pensée à l’exagération. Afin d’exprimer une pensée qui dépasse le langage, il recourt à dessein à cette méthode emphatique qui utilise tant l’hyperbole [2], que la métaphore. Cette volonté d’aller au-delà du langage présente une contrepartie: elle rend souvent la lecture de Levinas difficile, voire parfois obscure.

11Des incompréhensions peuvent ainsi naître, le recours au visage en est sûrement l’exemple le plus évident. Chez Levinas, il est bien autre chose que la face ou la figure humaine puisqu’il est précisément ce que l’on ne peut pas voir. La vision qui tend à subsumer, à ramener l’autre au «même», ne peut permettre véritablement la rencontre. Selon les propos même de Levinas: la meilleure façon de rencontrer autrui, c’est justement de ne même pas remarquer la couleur de ses yeux. C’est ainsi que, s’agissant du visage, Levinas nous demande non pas de pratiquer simplement une épokhè phénoménologique, mais d’accepter d’aller jusqu’à une épokhè de la phénoménologie. S’il ne s’agit donc pas de voir le visage, il s’agit en revanche de subir son impact. Plus précisément, parce que la connaissance cherche fondamentalement de ramener l’autre au même, la réification menace,… et particulièrement en médecine.

12Imprégné de culture juive, Levinas ne peut ignorer à cet égard que le mot de visage en hébreu se dit panim[3]. Shmuel Trigano (6) nous rappelle la définition qu’en donne Maimonide: «la présence d’une personne dans le lieu où elle se tient». Cette présence se définit à travers la notion de «face-à-face», panim el panim, c’est-à-dire d’une présence de l’un à l’autre sans intermédiaire, d’où l’idée que le visage n’exprime pas: il est l’expression. D’autre part, on recense aussi un usage de panim comme adverbe de temps «autrefois», voire de lieu «au-devant». Shmuel Trigano précise que Maimonide relève un sens supplémentaire à panim. En effet, l’hébreu biblique emploie ce terme pour désigner l’«égard», l’«attention», et enfin le «soin» pour autrui. Ainsi, nous arrivons au lien ancien, immémorial, mais si symbolique pour nous, qui ré-unit visage et soin. Shmuel Trigano souligne: «Rien ne récapitule mieux la notion levinassienne de «visage» que ces quelques lignes de Maimonide. Le Visage comme autrui me précède toujours dans une antériorité qui n’est pas au passé, m’obligeant envers lui de toute éternité…» (6, p.149)

13Le visage nous saisit non pas comme totalité mais bien comme infini. En ce sens, ce serait autant une erreur de penser le visage de manière phénoménologique (ce que je perçois) que de façon platonicienne (comme une Idée). S’il fallait vraiment caractériser le «visage levinassien», on pourrait dire qu’il est l’inscription de l’infini dans la chair.

14Loin d’être un acte issu du libre arbitre, la responsabilité qui émane du visage d’autrui s’apparente à un commandement qui m’oblige. La responsabilité levinassienne qui n’est pas liée à un acte de volonté du sujet en devient absolue dans le sens littéral du terme (ab-solutus signifiant en latin «sans relation», «séparé»). Levinas va jusqu’à, reprendre à son compte cette célèbre (et terrible) phrase de Dostoïevski dans Les frères Karamasov: «Chacun de nous est coupable devant tous pour tous et moi plus que les autres [4]» (7, p.228). Il existerait bien dans l’esprit de Levinas, vis-à-vis d’autrui, comme une dette originelle. L’auteur de «Autrement qu’être» ne cesse en effet de répéter qu’on ne décide jamais volontairement - après un examen de conscience ou en examinant le pour et le contre - de répondre à la souffrance d’autrui. Cette responsabilité pour autrui m’incombe totalement, elle n’est pas choisie, elle s’impose à moi. D’ailleurs, je dois même être capable de répondre des actes des autres comme de mes propres actes.

15«La responsabilité pour autrui ne peut pas avoir commencé dans mon engagement, dans ma décision. La responsabilité où je me trouve vient d’en deçà de ma liberté.» (4, p.24) Inversant le célèbre adage platonicien, Levinas peut affirmer: «nul n’est bon volontairement.» Ma responsabilité, autant inconditionnelle qu’incessible, s’apparente à un commandement: «Le mot «Je» signifie «me voici» (4, p.181). L’épiphanie [5] du visage d’autrui m’oblige, … et moi je suis celui qui doit trouver des ressources pour répondre à cet ordre. On comprend dès lors mieux, d’autant plus lorsqu’on est soignant, pourquoi Levinas aimait à rappeler cette phrase à la fois simple et énigmatique qu’il tenait d’un grand rabbin: «les besoins matériels de l’autre sont des besoins spirituels pour moi».

16Quoiqu’il en soit cette responsabilité est «illimitée», elle déborde et précède ma liberté, elle est celle d’un «oui inconditionné» puisqu’il s’agit d’obéir à un ordre avant que celui-ci soit même formulé. Ce que Levinas traduit ainsi: «Le paradoxe de cette responsabilité consiste en ce que je suis obligé sans que cette obligation ait commencé en moi - comme si, en ma conscience un ordre s’était glissé en voleur, s’est institué par contrebande.» (5, p.28) Ainsi, montrant sa nette préférence pour la responsabilité plutôt que pour la liberté, il écrit: «La liberté s’inhibe alors non point comme heurtée par une résistance, mais comme arbitraire, coupable et timide; mais dans sa culpabilité elle s’élève à la responsabilité» (5, p.223).

17Ce visage qui représente «la manière dont se présente l’Autre, dépassant l’idée de l’autre en moi» (6, p.43), a donc un véritable pouvoir. Autrui m’ordonne, car «Le “tu ne tueras point”»est la première parole du visage. Or c’est un ordre. Il y a dans l’apparition du visage un commandement […]. Pourtant, en même temps, le visage d’autrui est dénué; c’est le pauvre pour lequel je peux tout et à qui je dois tout.» (5, p.83)

18Dans cette éthique hyperbolique, «le donner n’a de sens que comme un arracher à soi malgré soi et non seulement «sans» moi; mais s’arracher à soi malgré soi n’a de sens que comme s’arracher à la complaisance en soi de la jouissance; arracher le pain de sa bouche.» (6) Levinas peut alors aller ainsi jusqu’à parler de «l’hémorragie du pour-l’autre», ou d’un «don douloureusem*nt arraché, dans l’arrachement». (5, p.119)

19Cette «passivité», qui se mue dans la souffrance en vulnérabilité, est bien la source de la relation éthique. Ce n’est paradoxalement qu’à des moments paroxystiques que la Rencontre n’est en réalité possible puisque «être exposé à la maladie, à la souffrance, à la mort, c’est être exposé à la compassion et, Soi, au don qui coûte.» (4, p.172). A cet égard: «Seul un être arrivé à la crispation de sa solitude par la souffrance et à la relation avec la mort se place sur un terrain où la relation avec l’autre devient possible.» (8, p.64)) Comme le note Lazare Benaroyo (9) chez Levinas «le corps souffrant est porteur d’une ambiguïté primordiale: alors que l’expérience physique de la souffrance enchaîne le sujet à soi, la vulnérabilité atteste que le sujet est débordé hors de lui, est en situation d’ouverture à autrui.» (9, p.62) En ce sens, ne pourrait-on pas admettre que si j’éprouve de la sollicitude vis-à-vis de mon semblable lorsqu’il souffre ce n’est pas parce qu’il est mon semblable mais parce qu’il souffre?

20Levinas parle de «l’unicité de l’élu et du requis qui n’est pas électeur […] Unicité non assumée, non sub-sumée, traumatique; élection dans la persécution.» (4, p.95). Dans Autrement qu’être, l’auteur semble parfois vouloir pousser sa pensée jusqu’à voir dans la responsabilité le prix d’une faute, d’une culpabilité première: celle de survivre. Dans une posture hyperbolique, Levinas peut aller jusqu’à écrire: «Or, dans l’approche d’autrui, où autrui se trouve d’emblée sous ma responsabilité, “quelque chose” a débordé mes décisions librement prises, s’est glissé en moi, à mon insu, aliénant ainsi mon identité.» (4, p.102) Certains seraient enclins à y voir une forme de dolorisme puisque la relation à autrui se fait ici douleur. Un auteur comme Michel Terestchenko (10) critique cette position maximaliste où il n’est plus question de générosité, mais seulement de souffrance, d’accusation, d’expiation, de sacrifice de soi qui nous transforme en otage de l’autre. Michel Harr - dans un article du Cahier de l’Herme dont le titre, «L’obsession de l’autre, l’éthique comme traumatisme» est particulièrement explicite - va jusqu’à douter du sens que peut avoir une relation à ce point dissymétrique. Il s’interroge ainsi: «Comment une véritable relation éthique pourrait-elle se fonder sur la pure passivité, sur la pure souffrance, sur l’unilatéralité, la non réciprocité […]. Comment concevoir un don qui serait arraché à la pure passivité […] Le moi privé de centre autant que de périphérie peut-il encore rencontrer l’autre et que peut-il lui apporter? (11, p.163).

21Catherine Chalier défend pourtant Levinas, car selon elle, l’auteur de «Totalité et infini» ne fait pas comme on voudrait le croire l’apologie du sacrifice pour le sacrifice. Ainsi: «Si le visage commande de faire prévaloir le souci de la vie d’autrui sur la sienne propre, cela n’équivaut pas à un devoir pour soi de s’exclure du bonheur» (12, p.32). D’ailleurs le premier commandement, «Le “tu ne tueras point”» qui est la première parole du visage, s’applique à autrui comme à moi, il semble ainsi exclure le sacrifice. Rappelons également qu’en refusant de placer la liberté avant la responsabilité le «pour l’autre» du sujet ne saurait, en reprenant les propres termes de Levinas, «s’interpréter ni comme complexe de culpabilité (qui suppose une liberté initiale), […] ni comme un je ne sais quel amour ou une je ne sais quelle tendance au sacrifice.» (5, p.198) Ainsi, Levinas rappelle que si Autrui s’impose à moi, il promeut une «certaine liberté» en suscitant ma bonté. C’est ainsi que pour Levinas, le bonheur n’est pas contemplation comme chez les Grecs mais s’éprouve comme obligation de servir.

22Comme nous venons de le voir, Levinas conçoit autrui sur le mode d’une extériorité radicale. L’autre reste absolument autre, il est inassimilable. C’est d’ailleurs ainsi que Levinas définit le Moi comme celui qui est totalement responsable d’autrui: «Etre Moi, signifie ne pas pouvoir se dérober à la responsabilité, comme si tout l’édifice de la création reposait sur mes épaules. […]. L’unicité du Moi, c’est le fait que personne ne peut répondre à ma place.» (13, p.55). Face à autrui, je suis astreint, requis, je ne peux demander de remplaçant. Dans cette conception, je n’ai rien à attendre, et encore moins à exiger, d’autrui: la réciprocité c’est son affaire et non la mienne. J’ai, pour l’autre, à manifester une sollicitude infinie dont je ne serai jamais quitte. Notons que pour Levinas la question de la proximité avec autrui ne se pose pas; car ce n’est ni l’amour, ni la raison, ni le devoir qui me commande de faire une place au soleil à autrui, de prendre soin de lui, mais seulement son visage comme appel, comme événement.

23Autrui est confié à ma garde mais il ne saurait avoir de dette à mon égard. En revanche, la dette que je dois à autrui est absolue. Le dû est impayable: on n’en est au fond jamais quitte vis-à-vis d’autrui. Cette dette qui précède l’emprunt déborde mes ressources. Elle est contractée avant toute liberté, et même avant toute conscience, avant tout présent car elle relève de la trace originelle. Levinas peut aller jusqu’à affirmer cet apparent paradoxe: «La dette s’accroît dans la mesure où elle s’acquitte» (5, p.27).

24J’ai donc vis-à-vis d’autrui non seulement une dette, mais une dette impossible à acquitter puisque «le moi a toujours une responsabilité de plus que tous les autres» (5, p.95). Répétons-le encore une fois; nous ne nous situons pas ici dans une relation de réciprocité, ni donc de solidarité puisque je n’attends rien de l’autre en échange. Levinas pourrait être vu dès lors comme une philosophie de la mauvaise conscience.

25Levinas dans «Totalité et infini», peut écrire: «Dans cet accueil du visage (accueil qui est déjà ma responsabilité à son égard et où par conséquent, il m’aborde à partir d’une dimension de hauteur et me domine), s’instaure l’égalité.» (5, p.236) Cette égalité est pour le moins étrange puisqu’elle se produit là où l’Autre me commande et se révèle à moi dans la responsabilité. C’est donc bien lui, le faible qui reste le maître, il ne peut pas y avoir dépossession. De ce point de vue, vouloir «se mettre à la place de l’autre» ce serait tenter de le com-prendre (prendre-avec), donc chercher à le totaliser. Ce serait oublier que ma relation au visage d’autrui se situe dans un «au-delà» de tout phénomène, serait-ce celui de l’empathie». Levinas nous invite donc à accepter les limites de notre volonté farouche de tout com-prendre, surtout autrui: «L’immédiateté à fleur de peau de la sensibilité - sa vulnérabilité - se trouve comme anesthésiée dans le processus du savoir» (4, p.104).

26Pourtant, dans cette éthique poussée à ses limites, il existe une situation qui va finir par limiter ma responsabilité: l’arrivée du Tiers.

27On l’oublie parfois, mais Emmanuel Levinas s’est attaqué à la question de la justice. Il reconnaît que la justice peut constituer une limite à notre responsabilité pour autrui. Certes, comme nous venons de le voir, il apparente mon rapport à autrui à une forme d’obligation face au visage d’autrui. Toutefois, l’auteur de «Ethique et infini» nous rappelle, dans un second temps, une vérité incontournable: autrui n’est pas seul! Il y a le tiers, l’autre autrui en quelque sorte. Le tiers, c’est celui qui interrompt le face-à-face que j’ai avec autrui. Il m’impose d’établir une relation de responsabilité avec lui. Pour le dire plus simplement, je n’ai pas le droit de donner tout à l’un et léser le tiers.

28Cette présence du tiers a une conséquence essentielle: elle m’oblige à modérer le privilège que je dois à autrui. En exigeant la comparaison, le tiers pose fondamentalement problème. Avec l’arrivée du «troisième homme» commence bien la justice (c’est ici que nous passons de la responsabilité «pour» à la responsabilité «devant»). Autrement dit, la présence du tiers impose une limite à la relation exclusivement interpersonnelle. Pour Levinas prendre en compte ces interrogations revient à «peser, penser, juger en comparant l’incomparable» (5, p.84). Le troisième homme représente le moment de la justice, car si dans le face-à-face, je suis l’obligé d’autrui (et même son otage), dans une institution, dans un collectif, se posent d’autres questions: «qui passe le premier?», «qui a plus besoin de moi?».

29Soulignons que ces questions, pour les soignants, sont loin d’être théoriques. En pratique, ce tiers peut être celui qui attend son tour à la consultation, le blessé grave qui peut arriver à tout moment aux urgences, la personne dont l’état s’aggravant doit être transférer dans un service de réanimation où il faut libérer un lit. A chaque fois une sélection doit être faite, qui doit être prioritaire, et sur quels critères?

30Il n’empêche que si la justice affecte nécessairement ma relation au prochain, elle n’exonère en rien ma responsabilité première et incessible qui demeure face au visage d’autrui. Dans l’esprit de Levinas, avant la justice, la responsabilité pour autrui est première car: «On doit rappeler que la proximité n’est pas d’emblée jugement de justice, mais au préalable responsabilité pour autrui, qu’elle ne se mue en jugement qu’avec l’entrée du tiers» (4, p.84). Il n’est alors pas inutile de rappeler ici qu’en hébreu, et Levinas le sait, les deux termes -proximité et sacrifice - ont une racine commune.

31D’autant plus que rien n’est simple, puisque, car comme le constate Levinas, dans ma relation à autrui le tiers est toujours déjà là. Avant même son arrivée, le tiers est présent [6] et la trahison est pour ainsi dire déjà présente. Très proche de Levinas sur ce point, Derrida rappelle: «Dans ce face-à-face, le tiers est déjà là: le juridique, l’éthique, le politique, comme dépendants du tiers, viennent, en quelque sorte, m’obliger à trahir - pour la bonne cause, celle de la justice - mon rapport à la singularité exclusive de l’autre, unique, irremplaçable, etc. (…) Il y a là comme un parjure: je dois trahir l’autre pour être juste avec les “autres”» (14). Au fond, même si c’est pour de bonnes raisons puisqu’il s’agit d’être juste, la démarche que partagent Levinas et Derrida viserait à retarder, sinon ajourner l’heure, pourtant nécessaire, de la trahison. Avec l’arrivée du Tiers nous quittons ainsi l’éthique pour entrer dans le politique. De manière imagé, Levinas aimait à dire qu’avec le tiers je cesse d’être juif pour devenir grec. Car le monde grec est un monde de la politique, un monde fini (il est totalité), alors que le monde juif est éthique, il est infini.

32En réintroduisant malgré tout, et quasiment à son corps défendant, de la mesure dans ma responsabilité pour l’autre, Levinas rappelle donc qu’en société tout n’est pas moral. S’il reconnaît que la présence du tiers introduit la question de la justice et donc de l’Etat, il n’en tire pas, pour autant, les mêmes conclusions que le grand philosophe contractualiste du XVIIème siècle Hobbes. Contrairement à ce qu’affirme l’auteur du «Léviathan», il ne considère pas que le but de l’institution étatique soit de nous protéger du danger que représente autrui comme source de violence potentielle, voire de possible mort violente. Levinas cherche au contraire à fonder l’État (comme organisation du «social») sur une tout autre base. Toujours fidèle à lui-même, il va défendre une position dans laquelle l’homme est nécessairement responsable de l’autre homme. Dans son livre d’entretien avec Philippe Nemo «Ethique et infini», il explique sa position ainsi: «Il est extrêmement important de savoir si la société au sens courant du terme est le résultat d’une limitation du principe que l’homme est un loup pour l’homme, ou si au contraire elle résulte de la limitation du principe que l’homme est pour l’homme» (5, p.85).

33Dans un article publié dans un numéro de la revue «Rue Descartes» consacré à Emmanuel Levinas, intitulé «L’extravagante hypothèse», Miguel Abensour (15) explique que l’objectif de Levinas reste toujours le même: rompre avec une philosophie du savoir, de l’être et du Même. A l’«odieuse hypothèse» de Hobbes répond ainsi l’extravagante générosité du pour-l’autre de Levinas. Autrement dit, à «l’homme comme loup pour l’homme» s’oppose «l’homme comme otage de l’autre homme». En extrapolant quelque peu la pensée de Levinas, on pourrait penser que les institutions sociales de l’État ont pour rôle non pas de nous protéger des autres mais au contraire de nous permettre d’échapper à l’absolu (et incommensurable) responsabilité que nous avons pour autrui. D’un rôle de protection vis-à-vis de la violence d’autrui nous passons à une fonction de substitution. Il serait dès lors possible de voir dans l’existence des politiques sociales un moyen de nous soulager de notre mauvaise conscience, de l’inconfort que provoque en nous l’irruption du tiers dans ma relation avec l’autre. Dit en des termes plus simples, de réaliser une socialisation du devoir de charité.

34Levinas, nous l’avons vu, nous invite à voir ma relation à autrui essentiellement comme responsabilité, mais une responsabilité qui ne relève aucunement de la liberté puisque je suis comme «pris en otage» par la vulnérabilité du visage d’autrui. Nous sommes ici dans le champ de l’indicible, mais aussi de l’incalculable puisqu’on ne peut évidemment pas mesurer ce que l’on ne sait pas avoir donné: «Toute complaisance détruit la droiture du mouvement éthique.» (13, p.55)

35Reste toutefois à savoir si le soin ne se résume qu’à ce rapport éthique. Car, comme toute action humaine, le soin est aussi susceptible d’autres éclairages. D’autant plus que cette vision de ma relation à autrui est extrêmement exigeante,… trop peut-être. Serions-nous devant une exigence infinie qui fait de cette éthique de la responsabilité portée aux extrêmes une éthique essentiellement utopique [7]? C’est-à-dire qui n’est «d’aucun lieu». Car le problème est bien là, Levinas nous propose une éthique de l’absolu, une morale hyperbolique qui tient peu compte des circonstances. Or, le soin ne peut s’extraire totalement de la contingence. Pouvons-nous penser que l’environnement social, culturel et technique dans lequel le soin se déploie aujourd’hui permet au soignant d’être toujours à la hauteur de cette formidable responsabilité? Par ailleurs, présenter ainsi le soin, ne serait-ce pas le meilleur moyen de rebuter les soignants? Ne faudrait-il pas alors oser défendre une forme de culpabilité raisonnable car limitée, et reconnaître, malgré l’immensité et l’importance de l’œuvre de Levinas, les limites, au moins pratiques, de cette pensée. Paul Ricœur conscient de cette difficulté rappelait fort justement qu’«une responsabilité illimitée tournerait à l’indifférence, en ruinant le caractère mien de mon action [8]» (16, p.163).

36D’autant plus que, malgré l’apport considérable de la pensée de Levinas dans le monde du soin, il nous semble que celle-ci laisse dans l’ombre certaines questions. Ainsi, l’idée que ma rencontre avec le visage d’autrui, pour être véritablement éthique, m’oblige à ne pas voir la réalité du visage - sa corporéité si l’on ose dire - peut apparaître comme étrange, particulièrement à un soignant. En effet, la relation à autrui dans le soin, n’est jamais désincarnée. Le visage du malade est une réalité. S’il ne doit être vu que comme pure transcendance, quel type de relation est-il possible d’établir avec lui? La sollicitude soignante n’aurait-elle pas besoin de trouver dans l’autre quelque chose qui fait d’autrui aussi son prochain, son frère, son semblable? Si autrui est si différent, si son altérité est à ce point totale, reste-t-il quelque chose à partager? N’est-il pas naturel de chercher en autrui une ressemblance, un rapprochement, une fraternité possible? Ne peut-on pas penser qu’il reste, malgré tout, entre autrui et moi quelque chose qui demeure, qui nous réunit?

37Que pourrait être alors cette chose en commun, ce poids qui nous pèse, sinon la souffrance de cette terrible solitude? Ce qui nous rapprocherait serait le résultat paradoxal de notre incompréhension mutuelle et de notre vulnérabilité commune. Le soin ne représenterait-il pas la dernière, l’ultime tentative qui permettrait de jeter un pont entre moi et autrui, afin de vaincre cet isolement, de réduire cet abîme [9] et tenter vainement de me rapprocher de celui qui me restera pourtant à jamais étranger?

38Il s’agit non pas d’en appeler au renoncement, mais simplement à la modestie, de ne pas demander aux hommes (et particulièrement au soignant) d’être des saints. De ce point de vue, si le soin relève d’une forme d’obligation, cette obligation doit demeurer possible, à hauteur d’homme. Cette convocation à l’action, on la retrouve à titre d’exemple chez Albert Camus au travers du héros de «La peste» (17), le docteur Rieux. C’est ainsi que ne pouvant être un saint et se refusant d’admettre les fléaux, le héros de Camus s’efforce, face à la peste, d’être simplement un soignant, c’est-à-dire de bien faire ce qu’il sait le mieux faire. Ce médecin sans bonheur qui fait le bien sans espoir, ne se veut donc pas héroïque, mais simplement honnête. Si, comme tous les soignants, le docteur Rieux ne sauve que par sursis, cela ne l’empêche pas pourtant pas de se sentir solidaire de tous les hommes.

39L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt.

  • 1

    Derrida J. Adieu à Emmanuel Levinas. Paris: Galilée; 1997.
  • 2

    Terestchenko M. Fragilité, vulnérabilité. [En ligne]. Blog de l’auteur du 9 décembre 2009. [cité le 9 mars 2018]. Disponible: http://michel-terestchenko.blogspot.fr/2009/12/definition.html
  • 3

    Cordier A. La vocation médicale de l’homme: in-quiétude éthique et professions de santé. En lisant Emmanuel Levinas. Dans: Traité de bioéthique II: soigner la personne, évolutions, innovations thérapeutiques. Toulouse: Eres; 2010. pp. 13-35.
  • 4

    Levinas E. Autrement qu’être ou au-delà de l’essence. Paris: Le livre de poche; 1978.
  • 5

    Levinas E. Totalité et infini. Paris: Le livre de Poche; 1982.
  • 6

    Trigano S. Levinas et le projet de la philosophie-juive. Rue Descartes: la revue du Collège international de philosophie. 1998 Feb;(19):141-64.
  • 7

    Dostoïevski F. Les frères Karamazov. Paris: Gallimard; 1994. (Folio classique).
  • 8

    Levinas E. Le temps et l’autre, ou au-delà de l’essence. Paris: Le livre de poche; 1992.
  • 9

    Benaroyo L. Soins, confiance et disponibilité. Ethique et Santé. 2004 May;1(2):60-63.
  • 10

    Terestchenko M. Un si fragile vernis d’humanité. Paris: Editions La Découverte; 2005.
  • 11

    Haar M. L’obsession de l’autre. L’éthique comme traumatisme. Dans: Chalier C, Abensour M, directeurs. Lévinas. Paris: Editions de l’Herne; 1991. (Cahiers de l’Herne n° 60).
  • 12

    Chalier C. Le bonheur ajourné. Rue Descartes: la revue du Collège international de philosophie. 1998 Feb;(19):27-38.
  • 13

    Levinas E. Humanisme de l’autre homme. Paris: Le livre de Poche; 1987.
  • 14

    Derrida J. Le contraire du semblable [En ligne]. L’Humanité; 21 décembre 2002. [cité le 10 mars 2018]. Disponible: https://www.humanite.fr/node/276941
  • 15

    Abensour M. L’extravagante hypothèse. Rue Descartes: la revue du Collège international de philosophie. 1998 Feb;(19):55-84.
  • 16

    Ricœur P. Parcours de la reconnaissance. Paris: Gallimard; 2005. (Folio essai).
  • 17

    Camus A. La peste. Paris: Gallimard; 1972. (Folio).
Introduction à la pensée d’Emmanuel Levinas. Le soin ou l’irréductible inquiétude d’une responsabilité infinie (2024)

FAQs

What is the main idea of Emmanuel Levinas? ›

For Levinas, what's essential about human beings—beyond our rational and practical capacities—is the fact that we find ourselves infinitely responsible in the face of the “Other.” The root of ethics is to be found in the immediate face-to-face encounter with those to whom we find ourselves responsible, prior to any ...

What is a short note on the Levinas idea of moral responsibility? ›

For Levinas, this responsibility is revealed by the other's face. The face of the other reminds us that the ethical meaning of an encounter is not totally contained within the limits of consciousness or within the social superstructures of a world of moral strangers.

What are the main principles of Levinas ethics? ›

Levinas theorizes that ethics starts with philosophy, and in that philosophy is not only the love of wisdom, but also the wisdom of love. Levinas discusses God not as a theological being but as an ontological phenomenon beyond time and space which binds us in the human experience.

Who is God according to Levinas? ›

Levinas's basic question is how finite thought can think an infinite and transcendent God. Levinas develops the phenomenology of the Idea of the Infinite and interprets Descartes' idea of God as a practical desire. For Levinas, the relation to God is intrinsically linked to the relation to the Other.

What does Levinas argue? ›

By asking us to accept that every human is at the same time infinitely unique and hopelessly finite, Levinas presents a theory of ethical responsiveness that rests on both the profound connectedness of human life and the extreme vulnerability that permeates encounters with other human beings.

What does Levinas mean by responsibility? ›

Levinas makes an intrinsic link between the words, “responsibility” and the “Other”. He maintains that to be responsible means to make oneself available for service of the. Other in such a way that one's own life is intrinsically linked with the Other's life (Levinas. 1985: 97).

How do you explain moral responsibility? ›

Moral responsibility concerns the extent to which a person believes that another individual or group is blameworthy and ought to be accountable for violating standards of conduct by either behaving in an unacceptable manner or failing to behave in an acceptable manner.

What is the moral for responsibility? ›

In summary, moral responsibility encompasses attributing actions to an agent, holding the agent accountable, and being liable for something or someone. It is thus operationalized through judgments of one's attributability, answerability, and accountability.

What is the ethical encounter for Levinas? ›

It means that, ethically, people are responsible to one-another in the face-to-face encounter. Specifically, Lévinas says that the human face "orders and ordains" us. It calls the subject into "giving and serving" the Other.

What is love according to Levinas? ›

According to Levinas, we hereby extend our own search for pleasure and fundamental egoism to include the needs and concerns of the other: “to love is also to love oneself in love, and thus to return to oneself.

What is the face philosophy of Levinas? ›

One of the central concepts in Emmanuel Levinas's philosophy is the notion of the 'face'. For Levinas, the face represents the ethical other, a unique encounter that demands a response from the self. The face is not just a physical aspect but a presence that speaks to us, commands us, and calls us to responsibility.

Was Levinas religious? ›

They argue not only that the influence of Levinas' Judaism is fundamental to his thought, but also that recognition of his Judaism is essential to understanding even his philosophical works.

What was Levinas main idea? ›

Levinas's thesis "ethics as first philosophy", then, means that the traditional philosophical pursuit of knowledge is secondary to a basic ethical duty to the other. To meet the Other is to have the idea of Infinity. The elderly Levinas was a distinguished French public intellectual, whose books reportedly sold well.

What is Levinas theory of the good? ›

Instead of placing being and the question of being at the base of all understanding qua existence, Levinas places ethics, goodness and responsibility prior to all. Levinas places the source of the meaning of ethical responsibility in the pre-ontological structure of human subjectivity.

What is Levinas philosophy called? ›

First published Sun Jul 23, 2006; substantive revision Sun Mar 18, 2007. Levinas's philosophy has been called ethics.

What is Emmanuel Levinas first philosophy? ›

Levinas establishes ethics as “first philosophy” by beginning with the notion of the “face- to-face.” Before there is knowledge, totalization and ontology there is the Other/other, what he also calls “the saying” (in distinction of “the said”), the infinite.

Why is the Other important to Levinas? ›

The other is the true refugee for “I”'s freedom, like Levinas points out that the other guarantees the “I”'s freedom: “The presence of the Other, a privileged heteronomy, does not clash with freedom but invests it” (1969, p. 88). Welcoming of the Other is the start to be free, to embrace freedom.

What is the face according to Levinas? ›

For Levinas, the face represents the ethical other, a unique encounter that demands a response from the self. The face is not just a physical aspect but a presence that speaks to us, commands us, and calls us to responsibility.

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